SPACE INVADERS : CONQUÊTE SPACIALE

Anaïd Demir / 2014


 

Depuis la fin des années 90, aux heures les plus sombres de la nuit, la ville se peuple clandestinement d’innombrables mosaïques multicolores. Minimalistes, ces créatures pixellisées prolifèrent insidueusement dans l’espace urbain, leur terrain de jeu favori. Leur nom de code : Space Invaders. Leur mission : comme leur nom l’indique, envahir l’espace. Mais aussi abolir la frontière entre réel et jeu vidéo.
 

Cette silencieuse conquête du monde a commencé à Paris en 1998, et depuis elle ne cesse de s’étendre sur les cinq continents et se propager tel un virus.
 

A l’heure qu’il est, plus de 3000 Space Invaders occupent plus d’une soixantaine de villes dans le monde. Ils tissent un savant réseau qui signale qu’au tournant de l’année 2000, nous sommes définitivement passés à l’ère du numérique.
 

Qui appuie sur ce joystick planétaire ? Un mystérieux artiste qui apparaît toujours masqué et répond au nom d’Invader. Vêtu de noir, muni de quelques carreaux de piscine et de ciment, ce Robin des Bois de l’âge du pixel qui opère exclusivement la nuit, nous rappelle que l’art est à tous et que la ville appartient à ceux qui l’arpentent.
 

Fasciné par l’esthétique minimaliste des premiers jeux vidéo dont le célèbre Space Invader est l’un des emblèmes, l’artiste rend hommage à ces pétillantes créatures extra-terrestres qui ont été parmi les premières à s’inviter chez les kids des années 80.
 

Mais au-delà du simple clin d’œil à l’enfance, Invader fait référence à la préhistoire du jeu vidéo qui, loin de l’hyperréalisme actuel, se frottait avec grâce aux limites de la technologie et ouvrait les portes de l’ère digitale.
 

Pop, ludiques et résolument low-tech, les « Space Invaders» font un lien entre l’art d’hier et l’art d’aujourd’hui. Leurs formes élémentaires, le matériau dont ils se composent et la technique employée nous renvoient autant au monde digital contemporain qu’à l’art antique. La mosaïque nous ramène en effet à Athènes, Byzance ou Rome quelques siècles avant notre ère, mais aussi à l’Art Nouveau, à la fin du XIXeme. Ces œuvres qui s’exposent à tous les vents dans la rue sans pour autant se réduire à du simple « Street Art » ou du graff en 3D, puisent autant dans le Pop Art que le Situationnisme en passant par la performance. Car chaque œuvre posée furtivement et hâtivement dans la rue en un temps record et dans un emplacement mûrement choisi à l’avance, relève d’une prouesse technique en-soi assorti d’un jeu de cache-cache avec la Police. L’adrénaline est chaque fois à son comble pour cet artiste « recherché » dans tous les sens du terme.  Ces courses-poursuites internationales n’ont pas empêché Invader de passer des niveaux, étendre son style, corser les règles du jeu et exploser son score mondial.
 

Répondant toujours aux lois élémentaires du pixel, ses mosaïques se sont élaborées au fil des années. Aux « Space Invaders » se sont ajoutés Pacman, Galaxian, Astéroïde, Bubble Bobble, mais aussi Astroboy, Sonic, Flappy Bird, Donkey Kong et bien d’autres. Picasso, la Joconde ou encore Mister Spock, de la série télévisée culte Star Trek ont dernièrement rejoint cette galerie de personnages.
 

Et depuis peu, ce jeu urbain qui injecte de la fiction dans le réel fait participer le public grâce à l’application « Flash Invaders » , à télécharger sur son smartphone. Bonus, malus ou game over… à chacun de marcher dans les pas de l’artiste. La mission : ramener les « Space Invaders» à leur milieu d’origine, l’écran digital dont ils s’étaient libérés et atteindre les highscores. On acquiert du même coup sa propre collection d’œuvres d’art virtuelles.
 

La conquête de l’espace continue à mesure que le niveau de complexité du jeu s’accroît. Récemment, accroché à un ballon-sonde météorologique, un Space Invader a été envoyé dans la stratosphère en éclaireur. Le prochain niveau de l’invasion sera donc galactique. En attendant, à vous de jouer.

 

Anaïd Demir est journaliste et critique d'art.


SPACE INVADERS : CONQUÊTE SPACIALE

Anaïd Demir / 2014


 

Depuis la fin des années 90, aux heures les plus sombres de la nuit, la ville se peuple clandestinement d’innombrables mosaïques multicolores. Minimalistes, ces créatures pixellisées prolifèrent insidueusement dans l’espace urbain, leur terrain de jeu favori. Leur nom de code : Space Invaders. Leur mission : comme leur nom l’indique, envahir l’espace. Mais aussi abolir la frontière entre réel et jeu vidéo.
 

Cette silencieuse conquête du monde a commencé à Paris en 1998, et depuis elle ne cesse de s’étendre sur les cinq continents et se propager tel un virus.
 

A l’heure qu’il est, plus de 3000 Space Invaders occupent plus d’une soixantaine de villes dans le monde. Ils tissent un savant réseau qui signale qu’au tournant de l’année 2000, nous sommes définitivement passés à l’ère du numérique.
 

Qui appuie sur ce joystick planétaire ? Un mystérieux artiste qui apparaît toujours masqué et répond au nom d’Invader. Vêtu de noir, muni de quelques carreaux de piscine et de ciment, ce Robin des Bois de l’âge du pixel qui opère exclusivement la nuit, nous rappelle que l’art est à tous et que la ville appartient à ceux qui l’arpentent.
 

Fasciné par l’esthétique minimaliste des premiers jeux vidéo dont le célèbre Space Invader est l’un des emblèmes, l’artiste rend hommage à ces pétillantes créatures extra-terrestres qui ont été parmi les premières à s’inviter chez les kids des années 80.
 

Mais au-delà du simple clin d’œil à l’enfance, Invader fait référence à la préhistoire du jeu vidéo qui, loin de l’hyperréalisme actuel, se frottait avec grâce aux limites de la technologie et ouvrait les portes de l’ère digitale.
 

Pop, ludiques et résolument low-tech, les « Space Invaders» font un lien entre l’art d’hier et l’art d’aujourd’hui. Leurs formes élémentaires, le matériau dont ils se composent et la technique employée nous renvoient autant au monde digital contemporain qu’à l’art antique. La mosaïque nous ramène en effet à Athènes, Byzance ou Rome quelques siècles avant notre ère, mais aussi à l’Art Nouveau, à la fin du XIXeme. Ces œuvres qui s’exposent à tous les vents dans la rue sans pour autant se réduire à du simple « Street Art » ou du graff en 3D, puisent autant dans le Pop Art que le Situationnisme en passant par la performance. Car chaque œuvre posée furtivement et hâtivement dans la rue en un temps record et dans un emplacement mûrement choisi à l’avance, relève d’une prouesse technique en-soi assorti d’un jeu de cache-cache avec la Police. L’adrénaline est chaque fois à son comble pour cet artiste « recherché » dans tous les sens du terme.  Ces courses-poursuites internationales n’ont pas empêché Invader de passer des niveaux, étendre son style, corser les règles du jeu et exploser son score mondial.
 

Répondant toujours aux lois élémentaires du pixel, ses mosaïques se sont élaborées au fil des années. Aux « Space Invaders » se sont ajoutés Pacman, Galaxian, Astéroïde, Bubble Bobble, mais aussi Astroboy, Sonic, Flappy Bird, Donkey Kong et bien d’autres. Picasso, la Joconde ou encore Mister Spock, de la série télévisée culte Star Trek ont dernièrement rejoint cette galerie de personnages.
 

Et depuis peu, ce jeu urbain qui injecte de la fiction dans le réel fait participer le public grâce à l’application « Flash Invaders » , à télécharger sur son smartphone. Bonus, malus ou game over… à chacun de marcher dans les pas de l’artiste. La mission : ramener les « Space Invaders» à leur milieu d’origine, l’écran digital dont ils s’étaient libérés et atteindre les highscores. On acquiert du même coup sa propre collection d’œuvres d’art virtuelles.
 

La conquête de l’espace continue à mesure que le niveau de complexité du jeu s’accroît. Récemment, accroché à un ballon-sonde météorologique, un Space Invader a été envoyé dans la stratosphère en éclaireur. Le prochain niveau de l’invasion sera donc galactique. En attendant, à vous de jouer.

 

Anaïd Demir est journaliste et critique d'art.